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vendredi 26 décembre 2008

Flux RSS : Revenu de Solidarité Sexuel ?


J'ai pris connaissance sur LEGALIS.NET d'un nouveau référé concernant la responsabilité de l'éditeur d'un site internet pour la mise en ligne de flux RSS. Le petit nom de l'affaire est celui-ci : Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 15 décembre 2008, Claire L. dit K. / Mehdi K.

Sur le fond, rien de bien nouveau. Un site à vocation pornographique diffuse sur ses pages des flux RSS provenant d'autres sites. Ces flux d'informations sont automatisés et mis à jour en temps réel au fur et à mesure des nouvelles publications des sites à l'origine de ces flux.

Or, l'un d'eux a mis en ligne des photos d'une actrice associées à des commentaires dont on imagine la nature et surtout accompagnées d'une proposition de téléchargement de vidéos.

En substance, la solution du magistrat ne change pas puisque l'éditeur du site diffusant l'information sous la forme du flux RSS (nous parlons donc bien ici du site accueillant le flux RSS) est retenu pour atteinte au droit à l'image.

La question est toujours sujette à contestation car, à proprement parler, l'éditeur du site diffusant les flux ne choisit pas de diffuser ou non l'information. Celle-ci est automatiquement diffusée sur le site sans que l'éditeur puisse donner son avis.

En cas d'assignation, l'éditeur du site de diffusion est toujours tenté de se défendre en se réclamant du statut d'hébergeur. Après tout, cela fonctionne bien pour des sites 2.0 type FUZZ, pourquoi pas nous ?

Il est vrai qu'en fonctionnant par comparaison, dans les deux cas l'éditeur du site ne maîtrise pas le contenu qui est affiché. Un directeur de la publication est censé lire les articles avant qu'ils ne soient diffusés. Rien de tout cela dans le cas d'un flux RSS ou d'un "Dig-Like".

Néanmoins, les choses ne sont pas tout à fait comparables dans les faits. Dans le cas d'un flux RSS, les fils d'information sont édités par un autre site. Dans le cas d'un site dit "2.0", l'information est mise en ligne par les internautes directement. Il semble que les juges s'arrêtent à cette distinction qui leur permet de considérer que le choix du flux RSS est en soi un choix éditorial.

Ainsi, certains sites opéreraient des sélections thématiques de flux RSS. Exemple avec notre affaire dont le nom de domaine était www.rocco-siffredi-nu.com (ne cherchez pas, il n'est plus en ligne :) ) et agrémenté de slogans du type : “des vidéos porno de folie” (si je n'améliore pas mon référencement avec ça il n'y a plus de justice !)

Evidemment, le responsable du site (j'hésite à utiliser le mot "éditeur") fait une sélection de flux RSS compatibles avec la marchandise annoncée (de la fesse ! Pour ceux qui n'ont rien suivi :) ). C'est là leur seule et unique valeur ajoutée. Ensuite, il s'agit essentiellement de référencement.

Les juges s'engouffrent dans cette brèche en estimant que cette action de sélection est un choix éditorial et qu'ils sont, par conséquent, responsables de tout ce qui est diffusé via les flux RSS des sites tiers. On retrouve un raisonnement équivalent dans l'affaire Lespipoles.com.

Il faut émettre des limites à ce raisonnement. Tout d'abord, les sites les plus divers ont recours aux flux RSS (ce blog y compris). Le site peut parler de choses diverses et souhaiter insérer un flux d'actualités provenant d'un autre site et dont le sujet n'a strictement rien à voir avec la vocation du site accueillant ce flux. L'objectif est alors de diversifier le contenu, d'animer le site, d'apporter un service à l'internaute ou de faire vivre un partenariat commercial. Bref, point de volonté éditoriale dans tout cela.

Reste le seul choix d'insérer ou non le flux. Car, en ne choisissant pas un fil d'information en lien avec le contenu du site, son responsable se détache encore plus des informations qui y transitent à notre sens.

Il n'y a d'ailleurs que peu de différences avec le fait de choisir de mettre en lien vers un site ou non. Dans ce cas là aussi, on ne maîtrise pas le contenu du site ciblé.

Donc, à un instant "t", notre ami le responsable du site décide de "faire confiance" à un site proposant un flux RSS. Selon la jurisprudence actuelle, il devient alors soudainement responsable de ce qui est diffusé par ce site, comme s'il en était lui-même directeur de la publication et alors même que notre responsable de site découvre la nature des informations diffusées par le flux RSS en même temps que les internautes visitant ses pages.

C'est une bien lourde responsabilité à endosser. Cela relève de la roulette russe. Cela m'a d'ailleurs encouragé pour ce blog, à ne difuser que des flux provenant de sites institutionnels ou dans lesquels j'ai toute confiance. J'appelle ça de la responsabilité surprise. Car, en vérité, tout flux RSS peut être porteur de contenus illégaux ou préjudiciables à un tiers. Je dis bien tous.

Un flux RSS, c'est donc un peu comme un chien. Il peut être très sympathique jour après jour, il n'en reste pas moins potentiellement dangereux et vous en avez la garde et serez donc responsables s'il mord quelqu'un. Savez vous pourquoi ? Parce qu'il faut bien que quelqu'un soit responsable et paye.

Ce qui peut se concevoir pour une atteinte à l'intégrité physique d'un nourisson, se conçoit beaucoup plus difficilement lorsqu'il s'agit de réparer une atteinte à l'image d'une célébrité, qui en tant que personne publique verra forcément sa photo associée à des commentaires "graveleux". Pauvre bichette !

Ajoutons que cette distinction entre site aggrégateur de flux RSS et site communautaire trouve sa limite lorsque les informations diffusées par le flux RSS sont des commentaires d'internautes. En effet, de nombreux sites proposent non seulement de s'abonner au flux des articles qu'ils éditent mais, en plus, proposent un flux des commentaires des internautes sur les articles. L'éditeur de ce site n'est en théorie pas responsable de ces commentaires. Que penser alors de la responsabilité de notre responsable de site qui a décidé de mettre en ligne ce flux RSS ? Sera-t-il responsable alors que l'éditeur du flux RSS de commentaires ne l'est pas lui-même ?

La frontière est floue. D'ailleurs, il convient de remarquer que cette responsabilité va certainement varier en fonction de plusieurs critères :
  • la nature du fondement juridique en cause
  • la nature du site émetteur du flux (pouvez-vous vous attendre à un contenu illicite ou non ?)
  • la nature du titre de l'information (l'atteinte est-elle constituée par le titre seul ou la page ciblée par le lien hypertexte ?)

Les jeux ne sont pas faits.

Finissons par quelques petites choses amusantes dans ce jugement :

Je commence par cette belle explication de la lutte que se livrent "atteinte à l'image" et "liberté d'expression".

"S’il est exact que ce droit à l’image, qui découle également de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, peut céder devant les nécessités de l’information du public et de la liberté d’expression, garanties à l’article 10 de la même convention, dans le cadre de l’équilibre qu’il revient au juge de dégager entre ces principes d’égale valeur dans une société démocratique en vertu du second alinéa du dit article, c’est en vain, au cas présent, que le défendeur soutient que les mises en ligne litigieuses seraient couvertes par la liberté d’informer et le droit de libre critique, alors qu’elles ne s’inscrivent dans aucun débat d’intérêt général ni ne prétendent à la moindre analyse critique des prestations d’une comédienne, mais caractérisent seulement l’utilisation d’images extraites d’oeuvres cinématographiques à destination du grand public détournées de leur sens et dénaturées, par leur mise en ligne dans le contexte d’un site qui se propose de mettre à disposition des “vidéos porno de folie” (rapport Celog, page 8)".

En résumé, la liberté d'expression n'est pas du tout absolue et ne protège que certaines formes d'expression.

Enfin, remarquons que notre actrice n'a eu droit qu'à un euro de dommages et intérêts à titre provisionnel, le magistrat estimant à raison que l'information n'ayant pas été diffusée sur une longue période et retirée dès l'assignation, le préjudice était limité à cette somme. Mon juge dans les affaires FUZZ et Croix-Rousse.net n'avait pas eu la même estimation. Je rends hommage à la justesse et au pragmatisme de ce magistrat qui face à des preuves techniques de l'absence totale d'atteinte réelle à l'image n'a pas appliqué de "forfait minimum". Pas plus d'ailleurs en matière de remboursement des frais de justice :

"Mehdi K. sera condamné aux dépens. Il n’y a lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque, ni à faire droit à aucune des condamnations spécifiquement demandées à raison des frais de constat.
La représentation par avocat n’étant pas obligatoire en référé, les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, dont le bénéfice est sollicité en demande, ne sont pas applicables.
"

N'y aurait-il pas un fond de reconnaissance du caractère quelque peu abusif de ce type d'actions ?



Gérald SADDE - Avocat au barreau de Rocco -


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